Daido Moriyama 

Le photographe septuagénaire capte depuis toujours, en noir et blanc ou en couleur, l'énergie et la folie de la capitale japonaise.

 

Depuis quarante ans, Daido Moriyama (né en 1938) photographie Tokyo. Le Japonais ne s'en rassasie jamais. Il regarde la ville sous toutes les coutures, de face, de biais, de haut en bas, en voyeur, en rôdeur, la nuit, le jour. Appareil photo lové dans le creux de la main, il la dévore des yeux, l'engloutit sur ses pellicules noir et blanc et cartes numériques en couleur, sans s'arrêter de marcher.

A 77 ans, toujours bon pied bon oeil, Moriyama est le portrait craché de Pac-Man, ce personnage de l'emblématique jeu vidéo en forme de rond jaune doté d'une mâchoire vorace, progressant dans un labyrinthe hanté par des fantômes. La difficulté est d'exposer le banquet gargantuesque de cet ogre dans un espace forcément confiné, aussi grand soit-il. La Fondation Cartier a trouvé la solution. Déconcertante au premier abord, et très vite évidente.

 

Un Tokyo provocant, flou et contrasté

 

Mais commençons par le début. Dès les années 1950, Moriyama construit une oeuvre obsessionnelle qui se métamorphose sans cesse. Elle démarre par une révolte contre l'Amérique, qui a déclenché l'apocalypse nucléaire lorsqu'il était enfant, avant d'imposer son mode de vie consumériste à un Japon déboussolé. La publication japonaise du New Yorkde l'Américain William Klein, en 1957, lui fournit les clefs d'un langage visuel cassant les codes de la « belle image », celle-ci n'ayant plus aucun sens après Hiroshima et Nagasaki. Daido Moriyama en adopte la syntaxe gestuelle mouvante, heurtée, provocante, par des gros plans braqués sur les anonymes de la rue. Scènes captées sans regarder dans le viseur, tirages en noir et blanc au gros grain, flous, contrastés...

 

Même si, avec le temps, ses clichés sont devenus moins rageurs, plus apaisés, plus nostalgiques, Moriyama n'a pas dévié de ce chemin. Toujours hanté par ses démons, il régurgite un Tokyo frappé de damnation. Simple objet en skaï en gros plan, conduites d'eau, insecte sur une grille, mains gantées de résille... se transforment sous son objectif en créatures fantasmagoriques d'un Jardin des délices à laJérôme Bosch. Avec lui, on passe sans transition du trivial au sublime. Il transmet l'énergie que lui injecte la métropole, surtout celle du quartier underground de Shinjuku.

 

Un photographe, une ville

 

En fait, Moriyama et Tokyo ne font qu'un. La Fondation Cartier le traduit parfaitement dans son titre, « Daido Tokyo », et son dispositif qui recompose une ville imaginaire. D'un côté de la salle sont placardées sur des panneaux d'affichage urbain les photos en couleur du Japonais. De l'autre sont projetées des diapos en noir et blanc sur quatre écrans s'allumant et s'éteignant au rythme d'une enseigne publicitaire au néon. Ainsi entre-t-on dans la beauté chaotique de Tokyo comme dans le moulin mental de Moriyama.

 

Source : Télérama,  Luc Desbenoit Publié le 06/03/2016